Si nous étions à portée de voix du peuple français, si notre voix pouvait, non seulement franchir les milliers de kilomètres qui nous séparent de l’Europe, mais surtout être diffusée sur le territoire français et sur tout le continent européen, voici ce que nous dirions aux Français et aux Européens :« A quoi servent les multiples commémorations de la Shoah, où on proclame « Plusjamais ça ! » ?
A quoi sert le «Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme… » ? A quoi sert le « Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit… » ? A quoi sert la célébration du 10 mai, en France, Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions ?
A quoi sert même la forme de mea culpa concédée à l’Algérie ces dernières semaines, si dans le même temps, on soutient en Afrique, au nom du principe de la souveraineté des Etats, des processus électoraux où l’on gagne à plus de 70 et 80 % ?
A quoi sert réellement la reconnaissance du principe de l’humanisme qui est au
fondement de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ?
Le libéralisme économique, la loi du profit et des intérêts économiques auraient-ils définitivement pris l’ascendance sur les libertés qui fondent l’Union Européenne ? En 2021, on reçoit au nom du peuple français, des représentants du pouvoir qui actuellement privent leur peuple des libertés fondamentales, répriment violemment toute velléité de protestation.
Le peuple français est-il au courant de qui l’on reçoit en son nom ?
Malheureusement, nous le savons, nous ne serons pas entendus en France mais aussi en Europe. Et ce n’est pas seulement parce que nous sommes éloignés géographiquement, mais c’est essentiellement à cause d’un fait que le monde actuel doit reconnaître : il existe deux catégories d’êtres humains, ceux dont la vie a du prix et ceux dont la vie ne vaut pas la peine.
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Ce qui s’est passé au Rwanda sous la présidence de François MITTERAND en 1994, en Lybie en 2011 avec Nicolas SARKOZY, au Mali depuis 2016 avec François HOLLANDE puis Emmanuel MACRON, montre bien cela. Cependant nous Africains, nous ferions erreur de croire que nous sommes les seules victimes de ce monde à deux vitesses. En effet, toute l’horreur qui a eu lieu en Irak et en Syrie, où les responsables politiques ont détruit leur propre peuple avec la bénédiction des puissances occidentales, devrait nous interpeller fortement. Et que dire de ce qui est arrivé et continue de se passer à Minneapolis (USA), sans compter les déclarations et actions des militants des partis de l’extrême droite européenne qui aujourd’hui ont pignon sur rue, et ont le droit de répandre leurs théories racistes et suprématistes sans problèmes ?
En fait, ce que tout cela nous force à reconnaître c’est l’échec d’un modèle : sûrement pas l’échec du modèle de l’Etat de Droit et de la démocratie, mais l’échec de ce qu’on a voulu nommer la mondialisation, l’exportation d’un style de vie centré sur la consommation et la croissance effrénées, sans respect de l’environnement, sur une vie de distractions et d’amusements pour les uns qui s’accaparent toutes les richesses du pays, et une misère
sans nom pour les autres, dans l’indifférence générale. Ce modèle a produit les dégâts que la crise du COVID-19 a brutalement mis en lumière : le monde tel qu’il fonctionne est incapable, à l’heure actuelle, malgré ses avancées
technologiques, de prendre en charge une pandémie et d’en venir à bout. Les responsables politiques sont pris en otages, d’un côté par les priorités économiques, dont font partie les diktats de l’industrie pharmaceutique, et d’un autre côté, par les calculs politiciens nationaux et internationaux. Dans tout cela les citoyens ne trouvent pas leur compte.
Où se trouve alors l’humanisme vanté par les Occidentaux ? Où se trouve aussi le sens de
l’humain brandit par les Africains en référence à leurs cultures et traditions ?
Et nous Africains, et nous Togolais, comment allons-nous y trouver notre compte ? Il va falloir que nous prenions conscience de l’échec qui vient d’être décrit et surtout que nous prenions nos responsabilités en insérant cet échec dans nos analyses. Comment cela ?
En d’autres temps, nous aurions perdu tout espoir. Et ce serait comme un coup d’arrêt porté à notre lutte pour l’instauration de l’Etat de droit dans notre patrie, sur notre continent ; nous nous sentirions comme abandonnés et trahis. Mais voilà, depuis 2020, les critères ont changé : le monde ne se mesure plus à l’aune de l’Occident qui, n’ayant pas pu trouver de solutions radicales et efficaces contre un virus, a montré ses limites. Comment pourrait-il encore donner des leçons avec l’arrogance de celui qui a toutes les réponses, lorsque dans cette question de vie ou de mort, il est impossible de savoir qui dit la vérité, lorsque les pays dits développés n’ont pas su trouver de stratégies communes, chacun se débrouillant pour son pays, comme si le virus respectait les frontières. Cela a été un « sauve qui peut » général ! Cette situation a décrédibilisé l’Occident, à tel point que des pays peu recommandables du point de vue des Droits Humains comme la Chine et la Russie ne se privent pas de montrer les insuffisances de l’Occident donneur de leçons.
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Allons-nous, nous autres Africains, continuer à être les imitateurs serviles de l’Occident? Le temps est venu de changer d’options politiques. Pour autant, il ne s’agit pas d’abord de relations internationales mais de tournure d’esprit. En effet, durant toutes ces dernières années, nous avons pris l’habitude de nous sentir forts quand nous étions soutenus par la Communauté Internationale, et faibles si les membres de cette communauté ne nous apportaient pas leur appui. Et nous fréquentions assidûment les chancelleries étrangères à la recherche de tels appuis. Aujourd’hui, il nous appartient de trouver d’autres modèles pour juger notre action citoyenne.
Il s’agit en fait de rendre le pouvoir aux citoyens dans ce domaine. Comment ?
D’abord en prenant grand soin d’informer les citoyens par l’analyse des faits sociaux, par l’explicitation de nos choix stratégiques, de manière à pousser ceux-ci à la prise de parole sur les différents aspects de la vie de notre pays. Ainsi ce seront les citoyens qui établiront les étalons de l’action sociopolitique.
A partir de cela, des questions fondamentales seront obligatoirement abordées : quel modèle de société à long terme ? Qu’est-ce que cela signifie pour le court terme ? Quelle est la part de chacun dans la réalisation des idées adoptées ? On en arrive alors à une véritable explicitation du projet commun de société. C’est alors que se posera la seconde question fondamentale : qui veut, qui peut collaborer à ce projet ? C’est ainsi que se dessineront les lignes de collaboration et de coopération avec la communauté internationale occidentale et africaine. Et par rapport au pouvoir, que va-t-il se passer ? Il est bien évident que la lutte pour la justice, l’équité, les libertés fondamentales continue mais dans une autre configuration : il est important de ne pas se laisser enfermer dans la réaction systématique qui fait que c’est le pouvoir qui mène le jeu et donc, il est absolument nécessaire de poursuivre la lutte mais en fixant des priorités. Cela ne peut se faire que dans une autre vision des organisations de la société civile. Finie la société civile des années 1990-2000 : certaines lignes de césures doivent disparaître au profit de nouvelles convergences, pour reprendre patiemment le combat. Le pouvoir des citoyens agissant en commun parce qu’ils auront compris que le pouvoir-avec et non le pouvoir-sur les autres transformera en profondeur le vivre-ensemble dans une véritable redécouverte de la philosophie d’Ubuntu capable de fonder un en-commun qui n’est
pas la suppression des singularités. Nos pays en Afrique n’offriraient-ils pas ce modèle dans lequel l’économie serait au service de l’humain? Est-ce si utopique ? Notre temps n’a-t-il pas besoin d’une Utopie pour donner
effectivement corps au principe de l’Humanisme ? Pour Kä Mana « Joseph Ki-Zerbo a compris que la conscience historique et les impératifs éducatifs pour le développement conduisent nécessairement à un sillon de fécondité créatrice : la fécondité de la politique comme force pour changer la société… »
Au fond, ne devrions-nous pas remercier MACRON et l’Europe de nous avoir démontré que
lui et ses amis doivent désormais se conjuguer au passé ?
Maryse QUASHIE et Roger E. FOLIKOUE