Togo: les réfugiés du climat

Le littoral Togolais est menacé depuis quelques années par l’érosion côtière. La mer engloutie chaque année, selon les autorités Togolaises, entre 6 et 10 mètres de plage par endroit. Selon le professeur Adoté Blivi, océanographe, si rien n’est fait la ville d’Aného, première capitale du Togo, et les villages environnant risquent de disparaître de la carte, d’ici à 2038.

Face à la furie des vagues de l’océan, Rodolphe Teko, la soixantaine révolue, ne peut rien. Depuis plusieurs années, cet ancien marin assiste impuissant au phénomène de l’érosion côtière à Agbavi, son village natal situé à quelques kilomètres de Lomé la capitale du Togo. Après plusieurs années d’exil au Nigeria, ce sexagénaire, fils de pécheur a décidé de rentrer au pays à la mort de son père.

 

le puits de la famille Teko est aujourd’hui dans la mer à cause de l’érosion côtière. © Daniel Addeh
le puits de la famille Teko est aujourd’hui dans la mer à cause de l’érosion côtière. © Daniel Addeh

S’attendant à retrouver à son retour au pays , la maison où il a grandi , il n’a pu que se contenter de la résidence secondaire de son père en bordure de mer .Car la première n’a pas pu résister à l’avancée de la mer. Depuis quelques années il n’y vit plus puisqu’elle aussi a subi le même sort que la première.
À l’heure actuelle, c’est sa maison construite à quelques mètres de la route principale qui mène à la frontière avec le bénin, qui risque de disparaître totalement comme celles de son père. La moitié de la concession a déjà été engloutie. Il ne reste plus grand-chose de son immense demeure : (4) quatre chambres, un puits et un abri de fortune où trône le fétiche protecteur de la famille. Le principal bâtiment composé : d’une salle de séjour, d’une cuisine et des (3) trois chambres à coucher est aujourd’hui dans la mer.

Le fétiche protecteur du village ne peut rien face à l’avancée de la mer . © Daniel Addeh
Le fétiche protecteur du village ne peut rien face à l’avancée de la mer . © Daniel Addeh

Le fétiche censé protéger ses adeptes ne peut également rien, face l’avancée spectaculaire de la mer. Son abri est aussi en partie endommagé. « Dans les années 90, la mer se trouvait  à plusieurs kilomètres d’ici. On s’y rendait soit à moto, soit en véhicule »se souvient-il. Aujourd’hui la donne a changé .La mer côtoie désormais au quotidien les populations du littoral Togolais. Ces derniers, pour la plupart ne possèdent plus d’habitations ni de concession où poser la tête. sont donc obligés pour certains de squatter chez leurs proches. D’autres qui possèdent encore un peu de place y construisent des abris de fortune, faits à l’aide des branches de cocotiers nattées. C’est d’ailleurs le cas de koukou Dossou, âgé de 71 ans.
Autrefois, ce dernier vivait de la pêche. Mais de nos jours, il ne peut plus exercer ce métier par manque de moyens. «  Il y a quelques années, il nous faillait juste lancer nos filets à quelques mettre de la côte pour avoir du poisson. Ce n’est plus possible de nos jours, puisque les côtes Togolaises ne sont plus poissonneuses », explique-t-il . « D’après les spécialistes qui sont venus nous rendre visite ici, les poissons ont tous fuit à cause des travaux de construction du 3e quai ». poursuit-il avec un zeste d’humour.

Alors pour survivre, il va chaque jour en compagnie de sa femme et de sa fille à la chasse aux coquillages et du gravier de mer. koukou Dossou travaille ainsi plusieurs heures par jour pour avoir au moins 2 dollars la journée. L’activité qu’il mène avec sa famille et sa fille est illicite. Le vieux Dossou le sait bien et le relate en ces termes : «Les agents de la mairie nous ont fait comprendre que l’activité qu’on mène, accélère l’érosion côtière. Nous n’avons pas le choix puisqu’on vie grâce à cette activité ».

Incapables de pêcher, de nombreuses familles au Togo ramassent maintenant du gravier pour gagner leur vie. Cette situation accélère encore l’érosion côtière. © Daniel Addeh
Incapables de pêcher, de nombreuses familles au Togo ramassent maintenant du gravier pour gagner leur vie. Cette situation accélère encore l’érosion côtière. © Daniel Addeh

Conscient du rôle que sa nouvelle activité joue dans l’accélération de l’érosion côtière, il ne peut cependant arrêter qu’a une seule condition : «  Si on recevait de l’état togolais la somme de 1500 Dollars, comme promis par les émissaires du gouvernement, pour l’achat des bateaux motorisés, on ne serait pas ici en train de faire ce travail. Avec cette somme on peut mieux s’équiper pour reprendre la pêche» a-t-il laissé entendre d’un air très malheureux. A en croire ces pêcheurs, le gouvernement avait promis leur venir en aide, il deux ans de cela. Mais jusqu’alors rien n’a été fait. Ces promesses comme tant d’autres sont restées insatisfaites à la surprise générale.

Une menace réelle.

L’érosion côtière menace les 54km du littoral Togolais. Le phénomène s’est accentué à l’est de la côte, avec la construction du troisième quai du port autonome de Lomé selon les experts du ministère de l’environnement et des ressources forestières du Togo. Les populations qui y vivent sont les plus affectées par ce phénomène. Les habitants de ces villages se sont regroupés il y a quelques mois au sein du collectif des personnes victimes de l’érosion côtières, pour exprimer leur ras le bol face au mutisme du gouvernement togolais.

Mis à part la pose d’épis à la plage d’Aného, situé à 52 km de l’actuelle capitale, rien d’autre n’a été fait. Les spécialistes de la question sont également unanimes sur la menace que représente l’érosion côtière sur la vie des populations et sur l’économie balnéaire du Togo. Le gouvernement conscient de cette situation multiplie des communications auprès d’éventuels bailleurs de fonds pour trouver une solution à ce problème. Le professeur Adoté Blivi, expert de la convention des Nations Unies sur les droits de la mer et de la commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco attirait également, il y a quelques mois l’attention des autorités Togolaises sur la question. Il explique l’accélération de ce phénomène par deux causes : La première est liée à l’action de l’homme sur la nature et la seconde par le tarissement des roches sédimentaires. Selon lui certaines villes devraient disparaître de la carte géographique du monde, tout comme les deux routes internationales qui reliaient le Togo au bénin.

« Les villes d’Aného et d’Agbodrafo devront disparaître d’ici 2038. »confie le professeur Adoté Blivi tout inquiet. Des mesures idoines doivent être donc prises pour freiner ce phénomène selon ce dernier.

Arrêter l’hémorragie

Depuis que la mer menace le littoral togolais, les autorités du pays grâce à l’appui financier de l’Union Economique Monétaire Ouest Africain (Uemoa) n’ont réussi jusqu’alors à disposer les épis que sur moins de 2 kilomètres des 54 menacée. Il y a quelques mois le Togo tout comme la Côte-D’ivoire le Ghana et le Bénin, a reçu une aide de la Banque Mondiale dans le cadre de son programme « érosion côtière et renforcement de la résilience climatique en Afrique de l’ouest ».Le montant de ce financement pour le Togo s’élève à 125 millions de FCFA. Cette somme devrait permettre de renforcer la sensibilisation des différents acteurs concernés par le sujet, d’élaborer un plan de gestion de zones côtières et de renforcer la résilience du changement climatique du Togo. En 2017 un plan d’action chiffré à 96 milliards de Fcfa financé par l’Etat Togolais, la France et la Banque mondiale ont été alloué pour arrêter l’hémorragie. En plus de ces quelques actions menées par l’état togolais et ses partenaires, le professeur Adoté Blivi propose dans un premier temps la mise en place d’une veille scientifique. Celle-ci suivra de près l’évolution de la mer. Il propose en outre de copier le modèle brésilien en matière de lutte contre l’érosion côtière. Cette méthode va consister à aller en haute mer, recueillir le sable qui permettra de sécuriser les côtes du Togo.

En attendant que toutes ses mesures prennent forme les populations du littoral du Togo affectées par l’érosion côtière devront prendre leur mal en patience.

@Daniel ADDEH