Des deux premiers palais royaux d’Agbavi, il ne reste plus que quelques vestiges sauvés à la hâte, face à la furie des vagues: trône royal, sceptres et les photos murales de ses anciens chefs. Togbui Koulahana Koffi, 58 ans ; chef du village d’Agbavi, a assisté impuissant comme les autres habitants du village à la destruction de ses biens par la mer. « Nos habitations ont été détruites en une journée. La mer a engloutit nos biens, nos fétiches ainsi que notre cimetière familial» laisse-t-il entendre. C’est désormais à quelques mètres des ruines du second palais royal, près de la plage, qu’il a construit son troisième palais menacé, lui aussi, de destruction. Depuis que le phénomène a redoublé d’intensité, c’est dans son troisième palais royal, qu’il peaufine désormais avec ses notables la stratégie à adopter pour sauver ce qui reste de leur village qui s’étendait autrefois sur plusieurs kilomètres carrés. « Il nous faut agir si on ne veut pas que notre communauté disparaisse. Depuis le début de ce phénomène, la pêche n’est plus bonne. Nos filles, pour la plupart, sont exposées à la prostitution et nos garçons au vol » poursuit-il tout furieux. Face au mutisme des autorités togolaises Togbui Koulahana Koffi et les siens ont décidé de prendre le taureau par les cornes.
Le collectif des personnes victimes de l’érosion côtière du Togo accusent
Dans une première plainte adressée le 4 février 2015 à la Banque mondiale, Banque internationale pour la reconstruction et le développement, Résolution n° IBRD 93-10 et Association internationale de développement, Résolution n° IDA 93-6, Ils affirment être victimes d’une érosion côtière accrue depuis les années 1960, mais que le phénomène s’est aggravé avec le début des travaux de construction du troisième quai au Port autonome de Lomé, entrainant du coup une avancée de la mer. Ils vont plus loin dans leur plainte en estimant qu’en juin, juillet et août 2012, la mer a avancé de 60 mètres, causant de graves dommages matériels aux habitations, plantations de cocotiers et zones de loisirs comme Obama Beach. Ils concluent leur accusation en imputant la responsabilité de ce drame à la société Lomé Container Terminal (LCT) qui a détruit un pan de leur identité tel: les « fétiches » et les cimetières familiaux.
De graves accusations que nous avons tenu à vérifier auprès de la société Lomé Container Terminal (LCT). Contactée à plusieurs reprises, la société Lomé Container Terminal (LCT) n’a répondu à aucune de nos sollicitations. Nous nous sommes ensuite adressés au Cabinet Inros Lackner A.G, qui a réalisé l’étude d’impact environnemental. Ses premiers responsables n’ont pas tenu à répondre à nos questions et l’ont laissé savoir en ces termes dans un échange de mail daté du 9 janvier 2017: « Bonjour Monsieur, Merci beaucoup pour votre message. Malheureusement, nous sommes dans le regret de devoir refuser votre demande car nous ne sommes pas autorisés à divulguer les contenus de nos études. Sur ce, nous vous saurions gré de bien vouloir vous adresser directement au maître d’ouvrage qui est en possession de cette étude. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées.»
Suite au refus systématique de ses deux entités de répondre à nos différentes sollicitations, nous avons pu entrer en possession du résumé exécutif de l’étude d’impact environnemental et social du fameux projet. Le document intitulé : « Projet du Terminal à Conteneurs de Lomé » a été publié par le groupe de la Banque Africaine de Développement.
L’étude d’impact environnemental et social en faveur de LCT
Pour la réalisation de son projet de construction d’une darse avec plusieurs postes à quai et l’aménagement d’une grande surface pour le stockage de conteneurs au port autonome de Lomé, la société LCT s’est armée d’arguments solides. Grâce à l’étude d’impact environnemental et social, elle montre que ce projet n’aurait pas d’impact sur les riverains. Le document l’explique en ces termes: « Globalement la zone est marquée par un recul du trait de la côte depuis la construction du port. Dans l’ensemble on observe des taux de recul annuel moyens de l’ordre de 3 à 5 m/an. Cependant, du fait du phénomène de sédimentation … le site du projet est à l’abri de ce phénomène. L’étude d’impact environnemental et social montre que l’épi entraînera l’ensablement du site du terminal.» Il va plus loin en estimant que Les activités qui seront réalisées pendant les phases de construction et d’exploitation sont associées à des effets potentiels sur la santé et la sécurité des travailleurs et des personnes présentes sur les lieux uniquement. Le document en question ne met en aucun moment en exergue les conséquences que ce projet pourrait avoir sur les populations vivant tout au long de la côte Est du littoral togolais.
L’étude d’impact environnemental et social bâclée
Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’étude d’impact environnemental et social ne prend en compte que le côté ouest du port autonome. Une zone presque inhabitée qui n’est pas touchée par le phénomène de l’érosion côtière. Pourquoi une telle étude ne prend-elle en compte que cette partie du littoral togolais ? A-t-elle été faite sciemment ? Des interrogations qui intriquent, vu que le rapport national sur l’environnement marin et côtier du gouvernement togolais affirme que deux types de courants sont observés sur le littoral togolais : le courant guinéen, qui se manifeste aux larges à une vitesse moyenne de 1m/s, orienté de l’Ouest à l’ Est et la dérive littorale, dirigée de l’Ouest vers l’ Est, avec une capacité de transport de 1.2 millions m3 /an, évoluant dans une zone de plage aérienne entre 0.80 m et 0.50 m et de plage sous-marine entre -2 et 11 m.
L’existence de ces deux courants tous orientés de l’Ouest à l’Est, ne devraient-ils pas normalement amplifier les effets néfastes de l’érosion sur la côte Est du port autonome de Lomé?
Une interrogation à laquelle les autorités du Ministère de l’Environnement et des Ressources Forestières n’ont pas tenu à répondre.
Un autre aspect tout aussi inquiétant que les autres, est la conclusion dudit document. En effet elle relève que ce projet occasionnera des impacts négatifs dont les plus importants surviendront pendant les phases de pré-construction et de construction. Il souligne aussi qu’indépendamment des impacts négatifs, l’importance de ce projet réside dans les impacts positifs qui seront obtenus. Les bénéficies socio-économiques seront ressentis par le personnel de LCT, les entreprises locales, les communautés locales, l’économie locale, et l’économie nationale.Autant d’éléments qui prouvent à suffisance que la société LCT a minimisé les risques de ce projet au profit des bénéfices qu’il va engendrer. Une démarche complexe car aucune des communautés affectées par la construction de ce terminal ne bénéficient directement des retombées de cet investissement.
La société LCT, responsable de l’érosion côtière
Après plusieurs tractations, le collectif des personnes victimes de l’érosion côtière du Togo n’a pas obtenu gain de cause auprès des autorités togolaises et de la société LCT. Il s’est tourné vers la CAO « Compliance Advisor Ombudsman », qui est un mécanisme indépendant de responsabilisation de la société financière internationale (IFC) et de l’agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), qui sont les branches du Groupe de la Banque Mondiale en charge des projets du secteur privé. Dans un rapport rendu public le 8 janvier 2016, le CAO a relevé un certain nombre de non-conformités dans le processus d’instruction et de supervision du projet LCT par l’IFC, particulièrement en ce qui concerne : l’identification et la gestion des risques et impacts potentiels du projet sur l’érosion côtière, et l’implication des parties prenantes autour de ces problématiques. Les experts de CAO notent aussi que: « L’IFC n’a pas pris en compte les impacts historiques, sociaux ou environnementaux importants associés au projet ».
Le Panel d’inspection de la banque mondiale va dans le même sens pour sa part, en confirmant les accusations des plaignants. D’après les conclusions de l’étude analytique de l’hydrologie du littoral togolais il ressort qu’une très grande portion de la côte togolaise (environ 40 km) est concernée par le recul du littoral. Le Panel souligne qu’il sera important de prendre en compte les préoccupations des plaignants.
Au regard de tous ces éléments, la Société LCT est responsable de l’amplification de l’érosion côtière au Togo.
Daniel ADDEH