Il ne réunira pas le président français et les chefs d’Etat d’Afrique, comme cela se faisait depuis la première session tenue à l’Elysée en novembre 1973, il réunira plutôt la société civile du continent. Sur le site de l’événement, on peut lire « Tourné vers les acteurs du changement (entrepreneurs, intellectuels, chercheurs, artistes, sportifs, créateurs, influenceurs…), le Nouveau Sommet Afrique-France veut questionner et redéfinir les fondamentaux de la relation entre la France et le continent africain en écoutant la jeunesse, en répondant à ses interrogations et en créant un nouvel espace de dialogue orienté vers l’avenir. »
Est-ce là un profond changement dans le concept de ces rencontres ou un réajustement ponctuel répondant à des préoccupations spécifiquement françaises ? Les chefs d’Etat, sont-ils exclus de ce sommet parce qu’ils ne répondent plus aux aspirations de la jeunesse qu’il vaut mieux écouter directement ? Impossible d’y répondre pour le moment.
A l’origine de ce nouveau format, sans doute les préoccupations du président français qui déclare en janvier 2020 à Pau devant ses homologues du G5 Sahel que « le sentiment anti-français se développe » en Afrique. Propos qui viennent certainement en écho à une expression de ras-le-bol de la jeunesse africaine en rupture avec les pouvoirs en place et qui pense que les chefs d’Etat qu’elle rejette sont d’une manière ou d’une autre soutenus et maintenus au pouvoir par l’Etat français.
Le président Macron a bien compris dès son arrivée à l’Elysée cette soif de liberté et ce besoin d’opportunités de la jeunesse africaine et il a semblé vouloir anticiper. Il a en conséquence mis sur pied en août 2017 le Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) en misant sur la diaspora avec sa capacité d’entreprendre et il a tenu à Ouagadougou deux mois plus tard, un discours évoquant la mort de la françafrique que beaucoup ont jugé prometteur sur cette thématique.
Quatre années après, qu’en reste-t-il ?
Le discours du président français n’a pas produit les effets espérés par les jeunes africains et le CPA s’est révélé inadapté à produire les résultats attendus. Bien au contraire, le positionnement variant de l’Etat français face au quatrième mandat présidentiel au Togo, au troisième mandat en Côte d’Ivoire et en Guinée, de même que le grand écart vis-à-vis des coups d’Etat au Mali et au Tchad ont douché les attentes des plus optimistes. Quand on comprend que l’on ne peut plus rester dans l’immobilisme face aux immenses besoins de changement des jeunes africains et que les solutions engagées n’en sont pas de réelles, alors on se demande si au fil des décennies l’Etat français ne s’est pas piégé dans sa relation si particulière qu’elle a conçue avec l’Afrique francophone au point qu’il lui semble quasiment impossible de s’en sortir à moindres coûts.
La France a des atouts indéniables en Afrique francophone, mais elle les fragilise considérablement. Est-ce par manque de courage politique des présidents successifs qui n’osent pas remodeler ce que le général de Gaulle a mis en place ou simplement du fait de la complexité du chantier et des incidences sur la politique intérieure ? L’Etat français, ne devrait-il pas mettre en adéquation la préservation de ses intérêts stratégiques avec les aspirations de la jeunesse africaine pour mieux pérenniser ses atouts, plutôt que d’investir dans un statu quo de plus en plus coûteux et difficile à tenir ? L’immobilisme conduit à l’impasse qui génère souvent des extrêmes. Et les signes annonciateurs sont là.
La situation se crispe davantage. De la République centrafricaine au Mali, visiblement une turbulence se propage et s’accentue. Les escalades verbales entre le Premier ministre malien qui évoque à la tribune des Nations Unies un « abandon en plein vol » par la France de son pays confronté au jihadisme, et la réaction virulente du Président français qui estime que la légitimité du gouvernement malien « est démocratiquement nulle » en sont une parfaite illustration. La dureté de ses propos ne torpille-t-elle pas son propre sommet de Montpellier ?
Non seulement on voit une frange de la jeunesse appeler la Russie en remplacement, mais des dirigeants franchissent le pas et établissent avec la Russie des partenariats dans le domaine de la défense traditionnellement porté par l’Etat français. S’achemine-t-on à nouveau vers le syndrome de la Guinée de 1958 ? On peut le redouter.
Je ne suis pas certain que la solution aux maux de l’Afrique francophone soit simplement le remplacement d’une puissance par une autre. La guerre froide entre les grandes puissances a causé des dégâts considérables en Afrique. Je ne suis pas non plus certain que l’orientation actuelle de la politique de l’Etat français soit de nature à enrailler la dégradation évidente de la confiance que lui témoignaient les jeunes africains. Il y a un virage indispensable à aborder avec le réalisme de chaque acteur pour éviter les dérapages douloureux.
Tant que la jeunesse africaine francophone sera privée d’un avenir prometteur par le fait d’une politique sans ambition des chefs d’Etat et qu’elle sera convaincue que le maintien de ces derniers au pouvoir bénéficie de la contribution de la politique française, alors il sera difficile de lui interdire de dénoncer cette contribution. Cela n’est pas un sentiment anti-français, mais l’expression légitime d’une profonde volonté de jouir des libertés et des droits fondamentaux qui offrent des opportunités d’épanouissement. Qui peut réfuter cela ? En se mettant du côté de la jeunesse, cela pérennise les meilleures relations qui protègent les intérêts légitimes de tous.
Personne ne peut se substituer aux leaders africains pour répondre à ces besoins affirmés de la jeunesse.
Pour créer « un nouvel espace de dialogue orienté vers l’avenir » comme le préconise le sommet, il faut se mettre en harmonie avec la jeunesse, pas seulement celle qui fera le voyage à Montpellier. Il faut plutôt écouter toute la jeunesse en répondant efficacement à ses véritables attentes en Afrique.
Elles se résument à la liberté, au respect des droits humains et aux opportunités d’épanouissement. Et cela est de la responsabilité première des chefs d’Etat d’Afrique. Ils n’ont en effet pas besoin d’attendre un sommet Afrique-France pour s’y atteler.
Gamesu
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais