La famille du président du Togo tué en 1963 réclame l’accès aux archives françaises

 

Le 13 janvier 1963, le président du Togo, Sylvanus Olympio, figure de l’indépendance, était assassiné. Il n’y a jamais eu d’enquête sérieuse sur les auteurs et le mobile de ce meurtre. Sa famille souhaite aujourd’hui « connaître la vérité » et demande à avoir accès aux archives officielles de la France, laquelle a été au cœur des évènements de cette époque.

Que s’est-il passé durant les heures qui ont précédé l’assassinat du président du Togo, Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963, et qui l’a tué ? Cinquante-huit ans après les faits, sa famille n’a toujours pas les réponses à ces questions. Elle vient pour la première fois d’entamer des démarches pour pouvoir consulter les archives officielles françaises.

Personne ne peut aujourd’hui retracer le déroulement exact de cet évènement tragique qui a eu de lourdes conséquences à la fois pour le Togo et l’ensemble du continent : Sylvanus Olympio est le premier président africain de l’ère post-indépendance qui a été renversé par un coup d’Etat et assassiné. Il avait 60 ans. Tout ce que l’on sait avec certitude, c’est que des hommes en tenue militaire et armés sont entrés brutalement dans la résidence personnelle de Sylvanus Olympio dans la soirée du 12 janvier, et qu’ils n’ont trouvé le président malgré une fouille minutieuse des lieux. Ils ne l’auraient localisé qu’en fin de nuit, dans la cour de l’ambassade des Etats-Unis voisine.

Aux alentours de 7 heures, trois coups de feu ont retenti. Vers 7h 20, l’ambassadeur américain, Leon Poullada, et l’un de ses adjoints ont découvert le corps sans vie de Sylvanus Olympio, devant une porte de leur ambassade selon la version officielle américaine, à l’intérieur même de l’enceinte diplomatique d’après le témoignage de la fille de Leon Poullada. Un médecin légiste a établi que le chef de l’Etat a été tué par balles et à la baïonnette, d’après un rapport de Leon Poullada.

Pour le reste, tout est flou. Il n’y a jamais eu d’enquête indépendante, malgré des démarches formulées par plusieurs dirigeants africains qui suspectaient une implication étrangère.

Lettre au Centre des archives diplomatiques de Nantes

« Nous voulons savoir ce qui s’est passé entre le 12 janvier à 18 heures, heure à laquelle ma mère, qui était la belle-sœur de Sylvanus Olympio, l’a quitté, et le 13 janvier à 7 heures, moment de son décès », explique Jean-Sylvanus Olympio, un neveu du président, chargé par la famille de mener les recherches nécessaires pour lever les nombreuses « zones d’ombre ». « Nous avions déjà eu dans les années 1990 le projet de lancer des procédures allant dans ce sens, mais il y a eu des tergiversations au sein de la famille », précise-t-il.

Son avocat, William Woll, vient de demander au Centre des archives diplomatiques de Nantes des informations sur les documents disponibles et la possibilité d’y accéder. « Mon client souhaite connaître la vérité sur l’assassinat de son oncle, indique-t-il dans son courrier. Or la France, par l’intermédiaire des diplomates sur place au moment des faits et notamment de son ambassadeur Monsieur Henri Mazoyer, a évidemment collecté de précieuses informations à ce sujet ».

La France a été de plusieurs manières au cœur des évènements ce 13 janvier 1963. L’ambassadeur de France connaissait les futurs auteurs du coup d’Etat. D’abord parce que c’étaient des Togolais ayant servi comme soldats au sein de l’armée française, et ensuite parce qu’il faisait la médiation entre les autorités togolaises et eux. Ces hommes, engagés volontaires, avaient été démobilisés depuis peu et voulaient intégrer l’armée togolaise, mais Sylvanus Olympio s’y opposait pour des raisons budgétaires.

Après le putsch, le ministre de l’intérieur du gouvernement renversé, Théophile Mally, a accusé Henri Mazoyer et des officiers français d’avoir incité ces anciens militaires à se rebeller. La France a nié vigoureusement.

Paris opposé à une enquête indépendante

Leon Poullada s’est pour sa part plaint auprès de sa hiérarchie d’un manque de transparence de la part des Français, selon des archives américaines étudiées par la chercheuse britannique Kate Skinner. La France n’a par exemple pas prévenu tout de suite l’ambassade des Etats-Unis qu’un coup d’Etat était en cours.

La famille Olympio souhaite des éclaircissements sur le rôle joué par des officiers français présents ce jour-là à Lomé et sur la responsabilité d’Etienne Eyadema Gnassingbé, l’un des « démobilisés » : il a revendiqué le meurtre au lendemain des faits mais s’est dédit trente ans plus tard -personne d’autre ne s’est jamais exprimé sur la question.

Kate Skinner a identifié dans les archives diplomatiques américaines un autre élément : la France a milité pour qu’il n’y ait pas d’enquête indépendante.

A l’époque, l’aversion de la France pour Sylvanus Olympio était de notoriété publique. Le chef de l’Etat togolais avait tout pour déplaire aux responsables français qui ont tenté de l’écarter de la scène politique à plusieurs reprises. Figure du combat pour l’indépendance, ancien cadre du groupe anglo-néerlandais Unilever, cet économiste formé par la London School of Economics cherchait à libérer son pays de l’emprise étouffante de la France. Il refusait des accords de coopération que Paris voulait lui imposer et préparait le lancement d’une monnaie nationale, ce qui allait mettre fin à la tutelle monétaire exercée par la France à travers le franc CFA.

Trois jours après l’assassinat, le président Charles de Gaules dit à son ministre Alain Peyrefitte : « Ce pauvre Sylvanus Olympio était matois. Il voulait jouer au plus fin. C’était un homme d’Unilever. Il s’appuyait sur les Anglais. Il avait grandi dans l’opposition à la France. Une fois arrivé au pouvoir contre nous, il avait affecté de ne pas vouloir d’accord avec nous. Puis voyant que ça lui était difficile sans notre aide, il a voulu un accord, mais sans en avoir l’air. Il lui fallait tromper tout le monde. Naturellement, il a été puni par où il a péché. »

La suite de l’histoire a davantage été du goût du général : les putschistes ont placé à la tête de l’Etat un vieil « ami » de la France, Nicolas Grunitzky. Ce dernier a abandonné le projet de monnaie nationale et signé les accords de coopération préparés par Paris. Etienne Eyadema Gnassingbé, qui a pris le pouvoir en 1967, a poursuivi cette politique de « coopération » étroite avec la France, tout comme son fils Faure qui lui a succédé en 2005. Pendant longtemps, c’est un fils de Sylvanus Olympio, Gilchrist, qui a été leur principal opposant.

Jean-Sylvanus Olympio s’attend à ce que ses démarches prennent du temps. « Si on me répond que les documents que je cherche sont classés ‘’secret défense’’, je déposerai directement et de manière exceptionnelle une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme », annonce William Woll. Puisqu’un juge ne peut, en vertu de la jurisprudence, obligé une déclassification « secret défense » et la production d’un document même à la demande d’une partie, il apparait inutile de tenter une procédure judiciaire en France, souligne-t-il.

Les Olympio comptent suivre le même processus aux Etats-Unis, espérant parvenir à comprendre par où Sylvanus Olympio est passé pour se retrouver dans la cour de l’ambassade américaine, et vérifier si ce qui se raconte dans la famille est exact, à savoir que c’est le président John F. Kennedy qui l’a prévenu et lui a dit de fuir sa maison. « Kennedy et mon oncle se connaissaient bien et depuis longtemps », rappelle Jean-Sylvanus Olympio.

Par Fanny Pigeaud

Article publié le lundi 21 juin 2021 dans Mediapart