Qu’est-ce qu’un maître ? Curieusement, la langue française condense (au sens freudien du terme) deux acceptions très différentes : celle de dominus, celui qui possède, gouverne, commande, et celle de magister, celui qui enseigne, guide, éduque. Toujours est-il que le maître, même dans le second sens, est celui qui détient un pouvoir dû à sa supériorité. En résumé, le maître est celui qui enseigne, guide ou commande, voire les trois à la fois. Dans ma relation avec Madji nous nous sommes le plus souvent limités aux deux premiers : il m’a enseigné de par son expérience et m’a toujours guidé à ma demande à chaque fois que j’ai eu à prendre de grandes décisions. J’exclue le troisième, commande, car pour paraphraser l’explication de mon feu maitre, les seules connaissances qui puissent influencer le comportement d’un individu sont celles qu’il découvre lui-même et s’approprie. Au fil du temps, il a fini par me faire comprendre que nous apprenons l’un de l’autre même si je me suis toujours opposé à cela non pas par fausse modestie mais parce que je savais que j’étais celui qui profitait le plus de cette relation. Il ne voulait pas qu’on en arrive à la situation du maitre et de l’élève (esclave). La dialectique du maître et de l’esclave met en lumière le principe égoïste qui régit les relations humaines ; et même dans l’amour, extrême limite de la relation à autrui, chacun ne cherche que sa propre reconnaissance par l’autre, un autre qu’il chosifie, immobilise et retient prisonnier par cristallisation ou sublimation. Agboyibo voulait transmettre son savoir mais ne se prenait pas pour un détenteur de la vérité immuable.
Pour moi Madji Agboyibo était un maitre avant d’être mon maitre parce qu’il avait du fait de son parcours acquis des compétences qui rendent maitre. Pas un maitre classique qui maitrise des choses théoriques mais un maitre qui a su contextualiser la théorie apprise à l’école normale et la pratique accumulée a l’école de la vie. Il y a toujours eu entre nous une relation particulière sur laquelle il est difficile de mettre les mots. Tout a commencé après notre première rencontre à l’initiative de mon grand frère Binafame Kohan. Sa première question lorsqu’il eut rejoint notre délégation installée par ses soins sur la terrasse était : Pourquoi tu as choisi cette place ? Sans trop aller en détails je dirai qu’après un certain temps le maitre m’a invité à passer un matin chez lui a la maison. Après un petit déjeuner avec au menu du haricot, il m’a fait comprendre que j’avais un potentiel et il était disposé à m’encadrer pour développer ce potentiel et qu’il demandait juste une chose en retour : ne jamais trahir mes valeurs et idéaux. Dans cette relation atypique ou j’étais demandeur et honoré de ce privilège d’être initié car un maître est nécessaire à l’homme pour son épanouissement. Et plus encore : le maître tient sa légitimité de la légitimité de son élève. Tout comme Socrate, Agboyibo cherchait lui-même ses propres élèves. Il avait compris que nul n’est maître sans élève. L’élève est celui qui reprend le flambeau après la mort du maître. Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention de reprendre le flambeau du CAR ni du FAR. Pour la petite histoire si je suis devenu Politologue c’est parce qu’un jour Agboyibo m’a fait comprendre que je serai plus utile pour mon pays que pour un parti politique. Comme il savait si bien le faire, il m’a démontré qu’il avait plus obtenu pour le Togo avec le FAR que le CAR mais tout cet acquis aurait été dilapidé s’il s’était cramponné au FAR.
A quelques interrogations sur Apollinaire Yawovi Madji Agboyibo j’ai eu à faire la mise au point suivante : Agboyibo a une philosophie politique qui se résume comme suit : OUI au compromis, NON à la compromission ; Il n’est pas mort avec sa méthode. Elle est léguée à la postérité à travers différents ouvrages. Tout le monde peut y avoir accès. C’est une méthode pour le Togo et l’Afrique. Ce n’est pas une méthode enregistrée au nom du CAR à l’OMPI ; Agboyibo a également mis en place sa méthode sur la base de son expérience et surtout de ses lectures. Il a dirigé son parti avec cette méthode. Il a participé à toutes les coalitions en invitant les autres acteurs à essayer sa méthode. Il n’en a pas fait une formule incantatoire secrète pour ses héritiers biologique ou idéologique.
Toutefois je voudrais profiter dans la foulée du 30 Mai 2021 soit un an après son rappel par le créateur pour revenir quand même sur des valeurs qu’il a voulu partager avec moi. Je ferai l’effort d’être succinct.
L’empathie une valeur sur laquelle débutaient et se terminaient nos rencontres
La relation maître-élève ne saurait se confondre avec la relation maître-esclave et se situer dans un rapport dominant-dominé. Le maître est en définitive celui qui sait assumer sa qualité d’homme, déchirement entre infinitude et finitude, entre absoluité et relativité, par la maîtrise et la transmission. Ce n’est qu’à cette condition qu’il échappe au temps et à la contingence. C’est ainsi que débute l’empathie chez Feu Agboyibo pour qui elle passe avant la sympathie. La sympathie est ce qui permet d’échapper au règne exclusif de l’intérêt pour soi, de coopérer et de progresser ensemble. Il s’ensuit que l’empathie est la capacité de comprendre précisément les sentiments d’autrui tout en conservant une distance affective par rapport à l’autre, tandis que la sympathie suppose un partage de sentiments et l’établissement de liens affectifs.
Rogers écrit : « Être empathique, c’est percevoir le cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que possible et avec les composants émotionnels et les significations qui lui appartiennent comme si l’on était cette personne, mais sans jamais perdre de vue la condition du comme si ». Nos capacités d’empathie sont par ailleurs modulées par notre attention et notre motivation. Dans le langage commun, l’empathie désigne la compétence d’un individu à se mettre à la place de l’autre. C’est l’aptitude plus ou moins développée à comprendre les émotions, les croyances d’autrui. Son contraire est l’apathie, l’incapacité de ressentir une émotion. L’empathie à la fois une fonction perceptive et sociale.
Alors que l’empathie fonctionne comme un simple miroir des émotions d’autrui, la compassion implique un sentiment de bienveillance, avec la volonté d’aider la personne qui souffre. Et c’est cette limite qu’il arrive parfois à Agboyibo de franchir quand il sait qu’il dispose lui-même des prérogatives pour apporter une solution. Je le comprenais parce que Nietzsche a dit, de façon très intéressante, qu’il ne faut pas avoir peur de prendre une recette stoïcienne et, suivant les besoins de la vie, ensuite une recette épicurienne. Ce qui ne signifie pas non plus qu’il n’y a que le stoïcisme et l’épicurisme comme attitude possible, mais aussi l’attitude platonicienne. Tout en mettant en avant l’empathie, Madji a toujours recommandé d’être ouvert à ces trois sentiments différents, mais intimement liés que sont l’empathie, la sympathie et la compassion. Vous comprendrez mieux pourquoi la communication de son parti politique a toujours tourné autour de la problématique des déshérités. Cela requiert de nous une éthique dans l’action publique.
L’éthique un levier fondamental pour rompre avec la mauvaise gouvernance
Acteur de la fraternité intellectuelle et attaché au respect de tous ceux qui ont eu à le rencontrer dans sa vie il a toujours martelé que nul ne peut prospérer s’il n’a l’appui de sa société. Cette puissance sociale ne peut se matérialiser dans la vie sociale si l’on ne se définit une éthique dans son interaction avec la société.
Bref l’éthique est une analyse systématique et critique de la morale et des facteurs moraux qui orientent la conduite humaine dans une société ou une activité donnée. On peut affirmer que l’éthique est une réflexion sur les valeurs qui orientent et motivent nos actions. Cette réflexion s’intéresse à nos rapports avec autrui et peut être menée à deux niveaux. Au niveau le plus général, la réflexion éthique porte sur les conceptions du bien, du juste et de l’accomplissement humain. Elle répond alors à des questions comme : Qu’est-ce qui est le plus important dans la vie ? Que voulons-nous accomplir ? Quels types de rapports voulons-nous entretenir avec les autres ? Les valeurs deviennent ainsi des objectifs à atteindre, des idéaux à réaliser. À l’échelle individuelle, nos actions sont autant de moyens d’actualiser nos valeurs. À l’échelle collective, l’imposition de règles est aussi un moyen de réaliser l’idéal partagé ; les actions qui vont dans le sens de l’idéal deviennent des devoirs, des obligations. Les règles, cependant, sont générales et ne peuvent couvrir toutes les situations où des choix d’actions sont nécessaires. C’est pourquoi la réflexion éthique porte aussi, au niveau particulier, sur les cas embarrassants et les dilemmes. Elle répond alors à des questions comme : Quelle est la valeur la plus importante dans cette situation ? Quelle est la meilleure décision éthique dans ces circonstances ? En éthique professionnelle, la réflexion porte sur les valeurs qui motivent les conduites des professionnels et qui sont actualisées dans les codes de déontologie. Codes déontologiques qui malheureusement n’hésitent pas en politique. Mais qui peut être codifié si on s’attelle à formaliser les bonnes pratiques appliquées par les acteurs politiques togolais pour préserver les maigres acquis démocratiques.
Pour rappel, les mots morale et éthique se rapportent à la sphère des valeurs et des principes moraux. Sont-ils synonymes ? Ont-ils des significations distinctes ? Différentes écoles de pensée existent sur cette question. Pour certains penseurs, morale et éthique ont la même signification : le premier provient du mot latin mores et le second du mot grec êthos qui, tous les deux, signifient mœurs. Pour d’autres y compris Agboyibo, ces termes prennent des sens différents et ne sont pas équivalents. La morale réfère à un ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l’injuste, l’acceptable de l’inacceptable, et auxquels il faudrait se conformer. L’éthique, quant à elle, n’est pas un ensemble de valeurs ni de principes en particulier. Il s’agit d’une réflexion argumentée en vue du bien-agir. Elle propose de s’interroger sur les valeurs morales et les principes moraux qui devraient orienter nos actions, dans différentes situations, dans le but d’agir conformément à ceux-ci. La réflexion éthique peut se faire à différents niveaux, certains plus fondamentaux et d’autres plus pratiques. Il est important de préciser ces différences pour éviter une compréhension biaisée de ce que Apollinaire avait de l’éthique tout comme l’application qu’il en faisait.
Selon le Bélier noir, différents facteurs issus du pluralisme culturel, politique et religieux font que le vivre ensemble est devenu problématique et tout acteur politique doit se comporter de sorte à contribuer à l’épanouissement de ses concitoyens dans un contexte où la société est d’une part en perte de valeurs et d’autre part où foisonnent des valeurs parfois contradictoires. Les acteurs politiques doivent éviter de se rendre complices, passifs ou actifs de la banalisation du mal qui est un phénomène récurrent dans notre pays où chacun se débrouille pour tirer son intérêt avant que tout ne s’écroule. Pour Agboyibo, l’éthique doit être au centre de tous les programmes politiques, au cœur de toutes les organisations qui forment les États africains, nos régions et nos nations. C’est le cadre moral qui doit prévaloir sur tout autre aspect au sein de nos institutions, et ce au plus haut niveau des responsabilités. Il faut éviter de poser des actes similaires à ceux qu’on dénonce. Comme le relevait récemment la dame de Sotchi nous avons une jeunesse qui combat les systèmes en place juste parce qu’elle n’est pas associée au vol des deniers publics. Toujours dans la nécessité de faire preuve d’éthique, Madji a toujours recommandé de tenir compte également des visées pratiques du politique pour penser celui-ci dans sa complexité, à la fois comme espace des possibles et comme espace d’expérimentation des conduites humaines sous les aspects individuels et collectifs. Pour la petite histoire il m’a toujours confié que son éthique ne lui permettait pas d’adresser un courrier à Faure Gnassingbé ou à un Ministre de la Fonction publique pour reverser dans l’administration ses collaborateurs du CAR ayant travaillé avec lui à la Primature, qui n’étaient pas de l’administration publique. Et en 2019, à la suite d’une sortie du Ministre Bawara sur New World TV, il m’a appelé pour me rappeler que si dans ce dossier il avait fait l’erreur de se compromettre, Bawara aurait pu atteindre l’objectif de cette sortie consécutive avec un message de la Fondation FAR qui avait été publié quelques jours plus tôt. Quand on s’approprie l’éthique, on ne peut pas se soustraire au dialogue.
Le dialogue indispensable dans une vie en société
L’Etat c’est la force et par ricochet le détournement de l’usage légal de la force. Face à un système violent et qui cherche à ramener tout sur le terrain de la violence et de la sécurité pour pouvoir agir en toute légalité et illégitimité, l’avocat de Kouve a compris très tôt qu’il fallait éviter de lui prêter le flanc et le conduire sur un terrain où il peut être amené à réaliser par lui-même qu’il doit se remettre en cause. Cela passe par le recours systématique au dialogue. Tout cerveau fermé au dialogue doit surement avoir une indigestion. Agboyibo part du constat général qu’au Togo comme dans beaucoup de pays africains, malheureusement et de façon irréversible, les débats qui se devaient d’être constructifs ont fait place aux mensonges, au despotisme, à la calomnie, aux discours haineux, voire tribaux. Ces évènements ont contribué à l’altération du climat politique, à l’accentuation des clivages personnels, politiques, voire ethniques, au maintien et à la radicalisation du régime dictatorial issu de l’ancien parti unique qui est devenu plus fort et cynique en instaurant une démocrature qui fait pire que l’ancien parti unique avec en toile de fond une pluralité de petits partis pour la plupart sans envergure nationale mais qui servent à accompagner le passage en force. C’est sans oublier qu’après plus de trois décennies de multipartisme atypique, les politiques ont brisé de facto le climat de confiance d’une part entre eux-mêmes et d’autre part entre eux et la population du fait du jeu illisible des alliances contre nature qui se font et se défont au gré des situations politiques.
Si nous arrivons à la majorité à dire que malgré le combat pour un Togo Démocratique de Me Agboyibo, le Togo n’est pas une démocratie nous nous accordons tous sur au moins l’existence d’un multipartisme au Togo malgré le retour progressif vers la pensée unique auquel nous assistons de façon impuissante car beaucoup sont obligés de se compromettre pour survivre. Le multipartisme relève de la compétition, mais consiste également à rechercher des solutions partagées, dans l’intérêt d’un pays et de ses citoyens. Un dialogue participatif et efficace entre partis politiques est l’un des éléments essentiels d’un système politique même s’il n’est pas réellement démocratique. Les conflits, les querelles et les rapports polarisés entre les partis politiques peuvent bloquer le développement d’un pays. À l’inverse, un niveau même minimal de confiance et de coopération entre les partis politiques peut ouvrir la voie à la paix, à la stabilité et à une croissance durable. Je me rappelle qu’aux lendemain des premières mobilisations de la C14 en 2017, Yawovi Agboyibo avait accordé un entretien à RFI et appelait au dialogue. Il a fait les frais d’une attaque sans précédent car beaucoup ne comprenaient pas pourquoi il appelle à dialoguer au moment où les autres exigeaient le départ de Faure.
Selon un élément de RFI, c’est toute la question, d’autant que les leaders de l’opposition ne sont pas tous sur la même ligne. Un départ du président indispensable pour certains. C’est le cas de Jean-Pierre Fabre, le président de l’ANC. Le président « doit démissionner, dit-il, il n’aucune légitimité. Les subterfuges, les ruses qui consistent à dire qu’il dépose un avant-projet de loi de révision constitutionnelles, c’est terminé, c’est dépassé. ». Même ligne pour le PNP de Tikpi Atchadam, également à l’initiative du mouvement, et qui accuse le régime de chercher à gagner du temps en proposant cet avant-projet de loi de révision constitutionnelle qui doit être examiné par les députés à partir de mardi. Le CAR de Yawovi Agboyibo a une position plus nuancée. Il appelle à des discussions beaucoup plus vastes que celles proposées par le gouvernement : « Quand je vois les propositions qui sont faites et qui concernent le mode de scrutin, la limitation de mandat, c’est très insuffisant, fait valoir l’opposant. On a besoin d’échanges approfondis pour revoir l’organisation institutionnelle du Togo, ça me parait inévitable. ». Et concernant le départ de Faure Gnassingbé, pour Yawovi Agboyibo, « ce problème doit être posé et abordé dans un cadre associé. Ce serait agir dans la précipitation que de l’isoler comme tel et de devoir trouver une solution séparée ». Une intervention qui a suscité des réactions d’envie avec des menaces de mort pour lesquelles il n’entendait pas perdre son temps à se préoccuper de ceux qui cherchent à le détourner de son devoir. En toutes circonstance Agboyibo a toujours voulu s’assurer de privilégier le dialogue pour éviter d’être distrait par les mouvements d’humeur. Selon lui c’est dans ces situations que le dialogue entre partis politiques s’avère incontournable pour éviter la politique à somme nulle ou l’inertie alors que des réformes sont pourtant nécessaires. Pour comprendre cet attachement au dialogue d’Agboyibo il faut comprendre ce qu’est le dialogue. Il me taquinait en réitérant que même si les gens optent pour la lutte armée ils finissent par se retrouver dans un dialogue pour mettre fin à la crise. Et lui sa philosophie consistait à économiser le nombre de morts en allant à l’essentiel : le dialogue.
Selon le manuel de IDEA International sur la question, le dialogue n’est pas une invention moderne. À travers l’histoire et dans la plupart des sociétés, le fait de rassembler des personnes pour les aider à surmonter leurs différences et à résoudre leurs problèmes a toujours été une mission prestigieuse, généralement confiée à des individus expérimentés, à des anciens ou à des personnes respectées pour la qualité de leur jugement et leur sagesse. Certains éléments de méthodologie du dialogue ont été et sont encore employés dans les sociétés traditionnelles et s’appuient sur des procédures et coutumes ancestrales. Leur validité est d’ailleurs reconnue dans les processus de justice de transition, de gestion des conflits et de réconciliation. La principale caractéristique qui différencie le dialogue entre partis politiques des autres formes de dialogue est donc le type de participants concernés. Cette différence a de nombreuses incidences sur la structure, le contenu et les retombées de ce type de dialogue. En fonction des organisations, le dialogue entre partis politiques pourra être identifié par des appellations différentes. Même si les luttes pour le pouvoir peuvent être féroces, les discussions politiques sur les réformes et le développement peuvent également aboutir à un dialogue fructueux et à un accord entre les partis. En effet, un véritable dialogue permet aux partis politiques de former des majorités parlementaires ou de prendre en compte les positions exprimées par une importante minorité. Le dialogue selon Agboyibo est un remède impératif dans les Etats ou l’héritage de la colonisation est la politique du diviser pour mieux régner et le repli ethnique. Pratiques qui ont été créés et entretenus à dessein par les colons puis repris après les indépendances par les clans présidentiels pour continuer à exercer le pouvoir et à faire main basse sur les ressources de leurs pays. D’où la nécessité de travailler à la construction du pays par la voie du dialogue. Loin de se laisser décourager par le vote ethnique, tribaliste surtout régionaliste il a toujours pensé que ce sont des réalités dont on peut venir à bout en dialoguant pour avoir un système politique et électoral transparent et crédible garantissant qu’aucun groupe ne pourra confisquer indéfiniment la gestion de la chose publique et se contenter de mettre en œuvre une mauvaise gouvernance. Certes il faut dialoguer mais il faut savoir dialoguer avec une stratégie.
La Politique sans Stratégies n’est que ruine du combat démocratique
L’amour de la lecture d’Agboyibo est contagieuse pour tous ceux qui passent plus de temps en sa compagnie sans le statut militant. Il a lu tous les classiques qu’il a synthétisé et appliqué au point où il peut en énumérer les avantages et limites suivant les contextes. Il est parvenu à la conclusion que les conditions dans lesquelles la communauté internationale a tourné dos à son implication dans le processus de réalisation des réformes constitutionnelles et institutionnelles illustrent une fois de plus, sans pour autant renier les soutiens extérieurs, que c’est avant tout sur leur propre détermination et leur esprit de sacrifice que les Togolais doivent compter pour créer les conditions de leur libération et de leur bonheur.
De façon classique, une stratégie est la manière d’élaborer, de diriger et de coordonner des plans d’action afin d’aboutir à un objectif déterminé, programmé sur le court ou le long terme. Le but principal étant d’éviter le pilotage à vue, une stratégie doit être appliquée et apporter des résultats positifs. Le concept de stratégie vient du verbe grec « stratego ». Appliqué au domaine militaire à l’origine, il veut dire planifier la destruction de ses ennemis par un usage efficace des ressources disponibles. Il désigne l’art de conduire les troupes et les ruses qui permettent de les porter à la victoire face à l’ennemi. Des gestionnaires ont tenté de transposer les principes qui sous-tendent cet art militaire à leur domaine ; ainsi, parlera-t-on de gestion stratégique sans qu’une formulation du concept fasse vraiment l’unanimité. La stratégie, étant la conception puis la mise en œuvre d’une action en vue d’atteindre un objectif fixé par le niveau politique, elle suppose la liberté d’agir qui se pose ainsi en condition même de la stratégie. On ne peut concevoir de stratégie sans but à atteindre, puisque c’est à partir de celui-ci que sera organisée la mise en œuvre des moyens et bâtir la cohérence du raisonnement stratégique. Toutefois Agboyibo tenait toujours à préciser que pour lui la fin ne justifie pas les moyens.
La conception de l’action n’est stratégie que si elle s’oppose à un autre, à la fois volonté et intelligence. Dans le cas contraire, elle n’est que technique. Toute stratégie ne peut donc être qu’évolution permanente, contrairement à la programmation ou à la planification, figées par nature. Toute stratégie subit les règles fondamentales des lois de l’action réciproque. Quand un Yawovi Agboyibo se décide à s’allier à Agbeyome Kodjo pour exclure UNIR des mairies du Yoto, il faut comprendre qu’il est stratège. L’action est réciproque ; chaque adversaire faisant la loi de l’autre raison pour laquelle la stratégie réelle doit se distinguer de la stratégie sur papier. Pour Bernard Brodie, « la théorie stratégique est une théorie pour l’action. La stratégie, c’est comment agir, guider dans l’accomplissement de quelque chose et le faire efficacement » pour atteindre son résultat.
La stratégie, le stratège, apparaissent fondamentalement comme une interface entre une instance supérieure, dite politique, et une instance technique, dite opérationnelle. La stratégie suppose donc l’existence d’une intention stratégique. La question du pourquoi s’affirme ainsi comme la question essentielle, la problématique du sens étant centrale dans toute stratégie : le stratège définit le quoi, mais il ne peut le faire qu’en parfaite compréhension du pourquoi défini par l’autorité supérieure.
Madji Yawovi Apollinaire Agboyibo reste un modèle que j’ai eu l’honneur de connaitre lors de son court séjour ici-bas. Il est l’une des deux personnes qui ont insisté pour que je franchisse le cap de l’écriture. Il y a beaucoup à dire sur le Bélier de Kouve mais les 4 points partagés ici sont largement suffisant pour ceux qui veulent grandir.
Papa Khadidja