Faure Gnassigbe

« Un New Deal pour l’Afrique »- tribune de Faure Gnassingbé et de plus de 30 dirigeants européens et africains

En l’espace d’un an, la pandémie a donné un coup d’arrêt à un quart de siècle de croissance économique continue en Afrique, perturbé les chaînes de valeur et entraîné un accroissement sans précédent des inégalités et de la pauvreté. De ce fait, le monde entier court des risques, car l’économie mondiale pourrait perdre l’un de ses futurs moteurs de croissance.

La pandémie de COVID-19 nous a appris que nous ne pouvons plus traiter les crises en apparence lointaines comme des problèmes lointains. Ce qui se passe dans quelque endroit que ce soit du monde peut toucher chacun de nous partout dans le monde. C’est pourquoi il est si important de s’attaquer à l’impact et aux séquelles de la pandémie en Afrique.

Bien que l’Afrique ait connu moins de cas de COVID-19 et de décès dus à celle-ci que d’autres régions du monde, l’impact de la pandémie sur le continent pourrait être plus durable, plus profond et plus déstabilisateur pour la planète tout entière. En l’espace d’un an, la pandémie a donné un coup d’arrêt à un quart de siècle de croissance économique continue, perturbé les chaînes de valeur et entraîné un accroissement sans précédent des inégalités et de la pauvreté.

Mais ce n’est pas seulement l’Afrique qui risque de perdre la possibilité de se relever pleinement de la COVID-19. L’économie mondiale pourrait perdre l’un de ses futurs moteurs de croissance.

L’Afrique a tout ce qui est nécessaire pour surmonter la crise pandémique et conduire le monde vers un nouveau cycle de croissance durable: des jeunes entreprenants et innovants, des ressources naturelles susceptibles d’alimenter une base industrielle locale et un projet d’intégration continentale éminemment ambitieux. Mais elle ne dispose pas des instruments lui permettant de sortir d’une crise aussi grande qu’inattendue.

Si le Fonds monétaire international estime que les pays africains auront besoin d’un financement supplémentaire de 285 milliards de dollars d’ici à 2025, aucun plan ni mécanisme de relance n’a été mis en place pour trouver ces ressources. Alors que d’autres régions voient aujourd’hui des signes de reprise économique rapide, l’incapacité de l’Afrique à lutter contre la pandémie avec les mêmes moyens pourrait être à l’origine d’une crise économique et sociale qui privera ses jeunes des possibilités dont ils ont besoin et qu’ils méritent.

La solidarité internationale a commencé à produire des résultats peu après le début de la pandémie. Les paiements dus au titre du service de la dette par les pays les plus pauvres ont été suspendus dans le cadre du G20 et une aide financière exceptionnelle du FMI, de la Banque mondiale et d’autres donateurs, dont l’Europe, a été débloquée.

Mais les institutions qui ont servi de fondement à la solidarité internationale depuis des décennies atteignent aujourd’hui leurs limites. Elles ont été affaiblies à court terme par les énormes inégalités dans l’accès aux vaccins. Elles sont également affaiblies par des divergences économiques majeures, dont aucune mesure d’urgence ne semble en mesure de venir à bout.

Aussi un nouveau cadre, un New Deal ambitieux et audacieux, est-il nécessaire. Et l’accès aux vaccins contre la COVID-19 doit constituer la première pierre de touche de cette initiative. Grâce à COVAX, le volet Vaccins du dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la COVID-19 (Accélérateur ACT) mis en place par la communauté internationale, et au groupe de travail pour l’acquisition par l’Afrique de vaccins, des centaines de millions de doses seront livrées au continent africain dans les mois à venir. Les doses précommandées de vaccins sont partagées par des canaux multilatéraux, la protection des professionnels de la santé constituant la priorité absolue.

Mais cela n’est pas suffisant. La vaccination représente à l’heure actuelle la politique économique la plus importante au niveau mondial: ses avantages se mesurent en milliers de milliards d’euros, son coût en milliards. C’est l’investissement le plus productif à court terme. Nous devons donc mobiliser des instruments financiers innovants pour accroître le financement de l’Accélérateur ACT, afin d’atteindre l’objectif de couverture vaccinale de l’Afrique, fixé à 60-70 % par les Centres africains de prévention et de contrôle des maladies. Nous appelons le FMI à prendre en considération le recours aux droits de tirage spéciaux (DTS, l’unité de compte du Fonds) pour financer cet effort.

En outre, comme l’affirme la déclaration de Rome faite lors du sommet mondial sur la santé qui s’est tenu le 21 mai, l’élément essentiel pour lutter contre les futures pandémies consiste non seulement à transférer les licences, mais aussi l’expertise aux producteurs de vaccins des pays en développement. Dans l’attente de la conclusion d’un accord sur la propriété intellectuelle, actuellement en cours de négociation au sein de l’Organisation mondiale du commerce, l’Afrique doit être en mesure de produire des vaccins utilisant la technologie à ARN messager et de trouver un accord, au sein de l’OMC, sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Avec l’impulsion donnée par le sommet de Paris, qui a réuni le 18 mai des dirigeants africains et européens et des responsables d’institutions financières, de tels partenariats de production seront financés et progresseront dans les mois à venir.

Le deuxième volet d’un New Deal pour l’Afrique réside dans des investissements à grande échelle dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la lutte contre le changement climatique. Nous devons permettre à l’Afrique d’isoler ces dépenses de celles allouées à la sécurité et aux investissements dans les infrastructures, afin d’éviter que le continent ne tombe dans un nouveau cycle d’endettement excessif. À court terme, en dépit du fait que certains pays africains ont réussi de manière spectaculaire à recourir aux marchés internationaux des capitaux, les créanciers privés ne fourniront pas les ressources financières nécessaires.

L’Afrique a besoin d’un choc de confiance positif. Le sommet de Paris nous a permis de consolider un accord sur une nouvelle allocation de 650 milliards de DTS, dont 33 milliards destinés aux pays africains. Nous voulons à présent aller encore plus loin au moyen de deux engagements volontaires.

Premièrement, nous avons besoin d’un engagement de la part d’autres pays à mobiliser une partie de leurs allocations de DTS au profit de l’Afrique. Dans un premier temps, cette réorientation des ressources permettrait de libérer un seuil initial de 100 milliards de dollars en faveur de l’Afrique (et de pays vulnérables dans d’autres parties du monde).

Deuxièmement, les institutions africaines doivent être associées à l’utilisation de ces DTS pour soutenir la reprise du continent et les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de développement durable à l’horizon 2030. Cela pourrait, à son tour, ouvrir la voie à une refonte de notre architecture financière internationale qui donne plus de poids aux institutions africaines.

Nous appelons tous les membres de la communauté internationale à prendre ce double engagement.

Enfin, nous devons nous concentrer sur le principal atout de l’Afrique: son dynamisme entrepreneurial. Les très petites, petites et moyennes entreprises du continent sont essentielles pour l’avenir pour les femmes et les jeunes Africains, mais le secteur privé est otage de l’économie informelle et du sous-financement. C’est pourquoi nous devons nous concentrer sur l’amélioration de l’accès des entrepreneurs africains au financement en ciblant les phases les plus cruciales de leurs projets, en particulier les phases de démarrage.

Le sommet de Paris visait à parvenir à un accord sur quatre objectifs: assurer un accès universel aux vaccins contre la COVID-19, y compris par la production en Afrique; renforcer les positions et les rôles des institutions panafricaines dans le cadre d’une nouvelle architecture financière internationale; relancer les investissements publics et privés; et soutenir le financement à grande échelle du secteur privé africain. Dans les mois à venir, notre tâche consistera à faire progresser ces objectifs au sein des enceintes internationales et dans le cadre du prochain mandat semestriel de la France à la présidence du Conseil de l’Union européenne.


Cette tribune est signée par: Charles Michel, président du Conseil européen; Emmanuel Macron, président de la France; Paul Kagame, président du Rwanda; Cyril Ramaphosa, président de l’Afrique du Sud; Macky Sall, président du Sénégal; António Costa, Premier ministre du Portugal; Pedro Sánchez Pérez-Castejón, Premier ministre de l’Espagne; Alexander De Croo, Premier ministre de la Belgique; Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne; Mohammed ben Salman, prince héritier de l’Arabie saoudite; Mohammed ben Zayed, prince héritier de l’Émirat d’Abou Dhabi; Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, président de la République démocratique du Congo et président de l’Union africaine; Faure Gnassingbé, président du Togo; Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire; Abdel Fattah al-Sissi, président de l’Égypte; Filipe Nyusi, président du Mozambique; Muhammadu Buhari, président du Nigeria; Roch Marc Christian Kaboré, président du Burkina Faso; Azali Assoumani, président des Comores; Nana Akufo-Addo, président du Ghana; João Lourenço, président de l’Angola; Sahle-Work Zewde, présidente de l’Ethiopie; Mohamed Ould el Ghazouani, président de la Mauritanie; Kaïs Saïed, président de la Tunisie; Bah N’Daw, ancien président du Mali; Mohamed Bazoum, président du Niger; Albert Pahimi Padacke, Premier ministre du Tchad; Abdalla Hamdok, Premier ministre du Soudan; Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo; Patrice Talon, président du Bénin; Paul Biya, président du Cameroun; et Moussa Faki, président de la Commission de l’Union africaine.