Togo-La liberté d’expression et de presse s’érode

Alors que le Togo a régressé de trois places dans le dernier classement de Reporters sans frontières (RSF), un sondage vient rajouter une couche : la majorité des habitants estiment ne pas se sentir « libres » pour exprimer leurs opinions politiques.

Dans le classement de RSF (2021), le pays de Faure Gnassingbé se retrouve au 74è rang, soit une dégringolade de trois places. Une situation qui s’explique d’une part par les manœuvres des pouvoirs publics pour freiner le journalisme d’investigation. Et d’autre part par le manque d’indépendance de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC).

Contexte

Les parutions, les radios, les télévisions, les médias électroniques pullulent dans le pays. Depuis 2004, le délit de presse est dépénalisé. Malgré ces acquis, la liberté d’expression et de presse rencontre un certain nombre d’écueils.
Dans son rapport 2021, Reporters sans frontières, souligne, en ce qui concerne le cas du Togo, que « La situation de la liberté de la presse est toutefois fortement dépendante du contexte politique. En période électorale, l’autocensure reste de mise pour les journalistes, qui préfèrent éviter de traiter des sujets tabous comme la corruption, l’armée, le président et sa famille », ajoutant que « Depuis les grandes manifestations de 2017 contre le maintien au pouvoir du président Faure Gnassingbé, en marge desquelles les autorités avaient durci le ton contre les médias – retrait de l’accréditation de la correspondante de France 24 et TV5 Monde, internet coupé pendant plusieurs jours –, la situation s’est quelque peu apaisée, et le nombre d’exactions contre les journalistes est en forte baisse. Il reste que lors de l’élection présidentielle du 22 février 2020, la connexion internet a été perturbée au moment de la compilation des résultats ».
Les défis aujourd’hui pour la corporation, poursuit le document, restent « La professionnalisation du secteur, la protection des sources et des journalistes – notamment lors des manifestations –, et l’accès à des ressources financières plus importantes pour assurer la viabilité économique des médias ».

Pressions, intimidations, menaces…

Si l’on enregistre une multitude de médias dans le pays, les pouvoirs publics n’aiment pas trop le journalisme d’investigation ou bien des publications qui critiquent leurs actions. En effet, dénonce RSF, « La culture du journalisme d’investigation est freinée par des pressions, des poursuites voire des sanctions infligées par un organe de régulation (la HAAC) qui manque d’indépendance comme ». Le nouveau code de la presse adopté en 2019 est souvent, semble-t-il, utilisé contre les journalistes critiques.

La Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication dont la mission première est de « garantir et assurer la liberté et la protection de la presse et de tous moyens de communication de masse dans le respect de la loi ; veiller au respect de la déontologie en matière d’information et à l’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication », entre autres, est souvent accusée d’être une épée de Damoclès sur la tête des journalistes qui ne veulent pas « regarder dans la même direction ».
En témoignent les sanctions jugées arbitraires contre plusieurs journaux privés de la place. Et dont le dernier en date est la suspension du bihebdomadaire L’Alternative pour une durée de quatre mois et de Fraternité pour ne citer que ces deux exemples.

La peur des Togolais

C’est dans cette atmosphère lourde de pressions, de menaces voire de sanctions que l’Institut Afrobaromètre, un réseau panafricain et non-partisan de recherche par sondage, a interrogé les Togolais sur la liberté d’expression et la liberté de presse. Leurs réponses sont sans équivoque.
En effet, 54% soutiennent ne pas sentir « très libres » ou « pas du tout libres » d’exprimer leurs opinions. Les trois quarts sont convaincus « que les gens doivent « souvent » ou « toujours » faire attention à ce qu’ils disent en politique », lit-on dans les résultats.

En ce qui concerne la liberté de presse, « Plus de la moitié (53%) des Togolais considèrent que les médias ne sont « pas très libres » ou « pas du tout libres » de diffuser et de commenter l’actualité sans censure ni ingérence du gouvernement », indique l’enquête alors que « les deux tiers (65%) pensent que les médias devraient être libres de publier n’importe quelles opinions ou idées au lieu de se soumettre à un droit du gouvernement de réguler les informations qu’il désapprouve ».
C’est dire que la liberté d’expression et de presse en train de prendre une tournure inquiétante malgré le foisonnement des médias. A qui la faute ?

Fabrice Kossivi